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VIE DE M. BAYLE.

horribles que vous souffrez ne dureront que cinquante jours de suite, après quoi vous serez sain pendant cinquante ans, » le mettrait au désespoir.

X. Ce que l’origéniste a répliqué ne peut pas s’appliquer également au mal moral et au mal physique. Nos idées ne trouvent point d’égalité entre ces deux sortes de maux ; elles trouvent incomparablement plus condamnable un père qui n’empêche point ses fils, quand il le peut, de commettre un crime, qu’un père qui leur permet de manger ce qui nuit à leur santé.

1706.

Quelques seigneurs anglais avaient fait tous leurs efforts pour tirer M. Bayle de sa solitude et le faire venir en Angleterre. Ils souhaitaient de l’avoir chez eux comme ami, afin de pouvoir profiter de ses momens de récréation. Je ne nommerai que le comte de Huntington, qui joignait à beaucoup de savoir toutes les qualités d’un honnête homme [1]. Il lui offrit une rente viagère de deux cents livres sterling, avec toute la liberté et tous les agrémens qu’il pouvait souhaiter. On voulut aussi l’attirer à la Haye. Le comte d’Albemarle souhaitait passionnément qu’il vint demeurer avec lui [2]. M. le baron de Walef alla à Rotterdam pour lui en faire la proposition, et il redoubla ses instances dans une lettre qu’il lui écrivit. « Si vos amis, dit-il [3], vous portent à refuser la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire, leur amitié ne peut être qu’intéressée, et rien ne peut les faire agir que le motif de vous posséder à Rotterdam. N’avez-vous pas assez honoré cette ville de votre présence, et la capitale de la Hollande n’est-elle pas en droit avec tous ses avantages de vous inviter à la préférer à un séjour destiné pour le commerce ? Je ne vous parlerai point de l’extrême considération qu’on y a pour vous, ni des hommages qu’on y rendra à votre mérite ; vous y êtes peu sensible. Mais avec l’amitié d’un seigneur qui vous estime infiniment, vous trouverez des bibliothéques et des promenades propres à nourrir votre philosophie et à l’entretenir agréablement. Permettez-moi, monsieur, de me servir de vos propres armes. Vous avez fait voir avec votre éloquence ordinaire combien un homme de lettres doit préférer le séjour de la première ville d’un état au séjour des villes subalternes [4]. Ou renoncez à vos propres sentimens, ou accordez-nous la grâce que nous demandons. Je ne vous répète plus ce que milord d’Albemarle m’avait chargé de vous dire. Vous trouverez chez lui une vie plus douce que je n’ai pu vous la représenter. Autant que vous surpassez les au-

  1. Ce seigneur mourut jeune et sans avoir été marié, le 2 de mars 1705.
  2. Il se proposait de lui confier l’éducation de son fils, lorsqu’il serait en âge de profiter de ses instructions,
  3. Lettre du 9 de février 1706, p 1065.
  4. Voyez la Réponse aux Questions d’un provincial, tom. I, ch. I.