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VIE DE M. BAYLE.

fait ignorant des choses les plus universellement connues, puisqu’il est de notoriété publique que ces deux grands porteurs de réformation étaient tout-à-fait perdus et abîmés dans le vice [1] ; pour ne pas dire qu’ils ont débuté d’une manière extrêmement criminelle ; c’est-à-dire, qu’ils ont commencé par violer des vœux dont la justice et la sainteté obligent à une observance la plus régulière qui soit [2].

» Voilà, mon cher frère, les réflexions dont je voudrais vous savoir muni quand vous viendrez en cette ville, car assurément vous en seriez d’autant plus disciplinable. D’ailleurs l’instabilité et la caducité de votre parti, qui n’est en ce royaume que par tolérance et parce qu’il ne prends pas au roi la fantaisie de l’exterminer, me fait craindre pour vous toutes les fois que j’y pense. Et en effet, ne subsister que parce que l’humeur d’un monarque, qui peut tout ce qu’il veut sur cette affaire, ne le porte pas à suspendre son concours avec lequel il vous souffre ; à votre avis, n’est-ce pas être exposé à toutes les heures du jour d’être détruit, puisqu’il n’en est point où l’humeur d’un souverain ne puisse passer d’une extrémité à l’autre ?

» Ainsi j’ai un grand sujet de souhaiter que vous imitiez les Pharisiens et les Saducéens qui vinrent au baptême de saint Jean, à qui il demanda qui les avait portés de fuir l’ire à venir. J’espère qu’un jour, moyennant grâce du Saint-Esprit et la bénédiction de Dieu, l’on pourrait vous faire un pareil interrogat, qui vous serait bien doux et bien commode. J’en prie le souverain maître de toutes choses, et voudrais avoir donné tout mon sang pour opérer votre salut. Ce que je dis non-seulement pour vous en particulier, mais aussi pour mon père, ma mère, mon second frère et tous mes parens : trop heureux, si, comme un autre Joseph, je pouvais être l’instrument de la conservation de toute ma maison ! Adieu, mon cher frère : faites réflexion sur ce que je vous ai dit, et venez au plus tôt pour savoir ce que c’est que vous veut dire votre très-humble, très-obéissant et très-passionné serviteur. Vous verrez l’accomplissement de ce que dit saint Paul : Quand on cherche le règne de Dieu et sa justice, toutes les autres choses sont ajoutées de surcroît [3]. »

Cette lettre ne fit pas beau coup d’impression sur M. Bayle l’aîné, par rapport à la religion. Il regarda du même œil et les belles espérances qu’on lui donnait, et les lieux communs de controverse qu’on lui opposait. Mais il fut très-sensible à cer-

  1. Voyez la Critique générale de l’Histoire du calvinisme, lettre XI, § 8 ; et dans le Dictionnaire critique, les articles de Calvin, tom. IV, pag. 325, et Luther, tom. IX, pag. 543, où l’on fait l’apologie de ces réformateurs.
  2. Voyez la Critique générale, etc., lettre IX.
  3. Ces paroles ne sont pas de saint Paul, mais de Jésus-Christ, Évang. de saint Math. ch. VI, vs. 33.