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VIE DE M. BAYLE.

contentait pas d’opposer aux cartésiens l’autorité du concile de Trente, il les combattait aussi par le raisonnement et s’efforçait de détruire les raisons dont MM. Chercelier, Rohault, et le père Mallebranche s’étaient servis pour prouver que l’étendue est l’essence de la matière. M. Bayle lut cet ouvrage, qu’il trouva fort bien écrit. Il jugea qu’on y prouvait invinciblement ce qu’on voulait prouver, c’est-à-dire que les principes de M. Descartes étaient contraires à la foi de l’église romaine, et conformes à la doctrine de Calvin : ce qui dans le fond, dit M. Bayle, dans une lettre à M. Minutoli, n’était pas difficile à prouver[1]. Comme il voulait faire soutenir des thèses raisonnées à ses écoliers, il fit sur le même sujet une dissertation où, en défendant le principe de M. Descartes, il rétablit dans toute leur force les raisons des philosophes que le père Valois avait attaquées, et ruina toutes les exceptions et toutes les subtilités de ce père. Il s’attacha surtout à montrer que la pénétrabilité de la matière est impossible.

Il parut au mois de décembre de l’année 1680 une des plus grandes comètes qu’on ait vues. Le peuple, c’est-à-dire presque tout le monde, en était saisi de frayeur et d’étonnement. On n’était pas encore revenu de cet ancien préjugé que les comètes sont les présages de quelque événement funeste. M. Bayle, comme il nous l’apprend lui-même[2], se trouvait incessamment exposé aux questions de plusieurs personnes alarmées de ce prétendu mauvais présage. Il les rassurait autant qu’il lui était possible, mais il gagnait peu par les raisonnemens philosophiques ; on lui répondait toujours que Dieu montre ces grands phénomènes, afin de donner le temps aux pécheurs de prévenir par leur pénitence les maux qui leur pendent sur la tête. Il crut donc qu’il serait très-inutile de raisonner davantage, à moins qu’il n’employât un argument qui fît voir que les attributs de Dieu ne permettent pas qu’il destine les comètes à un tel effet. Il médita là-dessus, et il s’avisa bientôt de cette raison théologique, que si les comètes étaient un présage de malheurs, Dieu aurait fait des miracles pour confirmer l’idolâtrie dans le monde. Il ne se souvenait point de l’avoir lue dans aucun livre, ni d’en avoir jamais ouï parler : ainsi il y découvrait une idée de nouveauté qui lui inspira la pensée d’écrire une lettre sur ce sujet qui pût être insérée dans le Mercure galant.

1681.

Il commença à y travailler le 11 janvier de l’année 1681, et fit tout ce qu’il put pour ne point passer les bornes, d’une telle lettre ; mais l’abondance de la matière ne lui permit pas d’être assez court, et il fut obligé de regarder sa lettre comme un ouvrage qu’il faudrait imprimer à

  1. Lettre du 24 de mars 1680, pag. 165.
  2. Voyez l’Avertissement sur la 3e. édit. des Pensées diverses sur la comète, etc.