Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/6

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ce qu’il fallait pour le maître. François n’était point un enfant sans cœur, assurément, et il ne laisserait pas le père dans l’embarras. Une fois de plus, l’incertitude du lendemain s’évanouirait, et les récoltes viendraient, une belle année, qui rétabliraient la joie dans le cœur de tous.

Las de demeurer courbé, le métayer se redressa, passa sur son visage en sueur le bord de sa manche de laine, puis regarda le toit de sa Fromentière, avec l’attention de ceux qui ont tout leur amour devant eux. Pour s’essuyer le front, il avait ôté son chapeau. Dans le rayon oblique qui déjà ne touchait plus les herbes ni les choux, dans la lumière affaiblie et apaisée comme une vieillesse heureuse, il levait son visage ferme de lignes et solidement taillé. Son teint n’était point terreux comme celui des paysans parcimonieux de certaines provinces, mais éclatant et nourri. Les joues pleines que bordait une étroite ligne de favoris, le nez droit et large du bas, la mâchoire carrée, tout le masque enfin, et aussi les yeux gris clair, les yeux vifs qui n’hésitaient jamais à regarder en face, disaient la santé, la force, et l’habitude du commandement, tandis que les lèvres tombantes, longues, fines malgré le hâle, laissaient deviner la parole facile et l’humeur un peu haute d’un homme du Marais, qui n’estime guère tout ce qui n’est point de chez lui. Les cheveux tout blancs, incultes, légers, formaient bourrelet, et luisaient au-dessus de l’oreille.

Ainsi découvert et immobile dans le jour finissant, il avait grand air, le métayer de la Fromentière, et l’on comprenait le surnom, la « seigneurie » comme ils disent, dont on usait pour lui. On l’appelait Lumineau l’Évêque, pour le distinguer des autres du même nom : Lumineau le Pauvre, Lumineau Barbe-Fine, Lumineau Tournevire.

Il considérait de loin sa Fromentière. Entre les troncs des ormes, à plusieurs centaines de mètres au sud, le rose lavé et pâle des tuiles s’encadrait en émaux irréguliers. Le vent apportait le mugissement du bétail qui rentrait, l’odeur des étables, celle de la camomille et des fenouils qui foisonnaient dans l’aire. Toute l’image de sa ferme se levait pour moins que cela dans l’âme du métayer. En voyant la lueur dernière de son toit dans le