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VIE DE BEAUMARCHAIS.

Le pamphlet le plus vif qui lui fut décoché plus tard, car il était d’un homme d’infiniment d’esprit, le duc de Lauraguais, qui l’avait bien connu, fait allusion à ces beaux projets du jeune Caron mis sur le pavé : « Quelques anecdotes, lit-on dans ce libelle, en forme de prospectus, pour les mémoires de sa vie, quelques anecdotes sur la ressource qu’il comptait tirer de la force de son corps et de son adresse à escamoter, lorsque son père le chassa de la maison paternelle[1]. »

Il s’en tint au projet, et n’en vint pas, croyons-nous, à l’exécution. Un ami, qui était même un peu parent, le banquier Cottin[2], et un autre des intimes, M. Paignon, prévenus sous main par le père, recueillirent ou aidèrent le pauvre expulsé, et préparèrent son retour au logis. Sa mère, que nous ne rencontrons dans sa vie qu’à ce moment, où l’on comprend si bien que son cœur et ses supplications durent intervenir, y fut encore plus active : « À l’égard de votre mère, lui écrivit le père, quand il fut sur le point de céder, et qu’il voulut par avance le ramener envers elle à un respect dont il s’était sans doute écarté : à l’égard de votre mère, qui s’est vingt fois mise à la brèche depuis quinze jours pour me forcer à vous reprendre, je remets à une conversation particulière à vous faire bien comprendre tout ce que vous lui devez d’amour et de prévenance[3]. »

La paix fut signée, et Pierre-Augustin semble s’être alors assez docilement soumis aux exigences de régularité de conduite et de travail qui en avaient été les conditions. C’est sur ce dernier point, le travail, où le reste avait d’ailleurs son gage et sa garantie, que le père insista par-dessus tout, certain qu’avec l’habileté et l’intelligence qu’avait son fils, il pourrait, si un peu d’assiduité venait en aide, n’être pas moins qu’un horloger de premier mérite : « J’entends, lui disait-il encore dans la lettre qui servit de préliminaire à la réconciliation, et dans laquelle, en même temps que le bon sens et la sévérité du père, on trouve l’enthousiaste conviction de l’artisan épris de son métier, j’entends que vous n’employiez les talents que Dieu vous a donnés qu’à devenir célèbre dans votre profession. Souvenez-vous qu’il est honteux et déshonorant pour vous d’y ramper, et que, si vous ne devenez pas le premier, vous ne méritez aucune considération. L’amour d’une si belle profession doit vous pénétrer le cœur, et occuper uniquement votre esprit. » Pierre-Augustin fut obéissant au conseil, si bien même qu’il n’y eut bientôt pas à Paris de plus habile horloger que lui.

En septembre 1733, quoiqu’il n’eût qu’un peu plus de vingt et un ans et demi, il se faisait déjà distinguer par l’Académie des sciences pour l’invention de l’un de ces mécanismes délicats qui servent à régulariser le mouvement des montres, et qu’on appelle « échappements. » Le Paute lui en contesta la priorité, le trouvant bien hardi de se faire inventeur à l’âge où d’autres sortent à peine d’apprentissage ; mais, après un débat de plus d’une année, avec échange de lettres, dont le jeune Caron, qui comprenait déjà les avantages de la publicité par un journal, communiqua au Mercure les plus intéressantes pour sa cause[4] ; c’est en sa faveur que l’Académie finit par conclure. Le 4 mars 1734, elle lui donna, pour attester sa découverte, un certificat des mieux en règle, dont, même au temps de ses autres succès, il resta toujours fier, et qu’après lui sa famille conserva pieusement. « Peu de gens

  1. Mémoires secrets, t. XXIII, p. 60, et Correspondance secrète, t. XV, p. 32.
  2. Loménie, t. I, p. 73.
  3. On ne sait rien sur la mère de Beaumarchais, sinon, comme on le voit ici, qu’elle était pour lui toute indulgence et tendresse ; et, ainsi que Jal nous l’a appris dans son Dict. critique, qu’elle mourut à cinquante-six ans, le 18 août 1758. D’après un bruit dont Rivarol se fit l’écho dans sa violente satire contre Beaumarchais, où il parle de « sa comique origine, » elle aurait commencé par être danseuse à l’Opéra de Bordeaux.
  4. Il en parut une, datée du 16 novembre 1753, dans le volume du mois suivant, p. 170-172 ; une autre du 24 janvier 1754, dans le volume de février, p. 214-215 : et enfin une troisième, qui n’est plus relative à cette contestation, mais où Pierre-Augustin ne s’occupe encore que de ses inventions d’horlogerie, dans le Mercure de juillet 1755, p. 177-183. Elle est datée du 16 juin précédent.