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VIE DE BEAUMARCHAIS.

savent, dit La Harpe à qui nous devons ce détail, que cet homme si fameux par ses procès gagna le premier de tous à l’Académie des sciences[1]. »

Son ambition, qui, depuis, devait se dépenser, au risque de s’y perdre, sur tant d’autres choses de la diversité la plus infinie, ne visait pas alors plus haut que l’horlogerie, et ses plus minuscules inventions : faire pour madame de Pompadour une montre en bague de quatre lignes de diamètre au plus, se remontant sans clé, pour trente heures, à l’aide d’un cercle à crochet autour du cadran ; après cette montre, « la plus petite qu’on eût encore faite, » en entreprendre une autre pour le roi, toute pareille, mais à répétition, ce qui en doublait la difficulté ; fabriquer ensuite, « dans le goût de ces montres, » une petite pendule à deux cadrans, pour une des filles du roi, Madame Victoire[2] ; et, comme récompense, obtenir d’être présenté à Louis XV et à Mesdames, puis d’être agrégé à la Société royale de Londres[3], acheminement naturel pour arriver à notre Académie des sciences, comme un de ses maîtres, l’horloger Le Roy[4] : voilà où tendaient tous ses efforts.

Il ne fut pas de la Société de Londres, et bientôt il n’y pensa pas plus qu’à l’Académie des sciences ; mais, en revanche, l’autre partie de son rêve, être introduit à la cour, s’y donner peu à peu ses libres entrées et y rester, se réalisa, et amena le changement le plus complet dans sa fortune.

Les filles de Louis XV étaient folles de musique, et Beaumarchais, nous l’avons vu, y était passé maître sur toutes sortes d’instruments, entre autres la harpe, encore assez peu maniée alors, et pour laquelle, malgré la défense de son père, qui, au moment de leur réconciliation, ne lui avait permis que la flûte et la basse de viole[5], il s’était fait d’une force supérieure.

Ce fut le trait d’union : il était arrivé chez Mesdames comme horloger, il resta comme musicien, organisateur de concerts intimes[6], et surtout, ce dont il fit toujours son grand moyen d’action, comme homme d’esprit. Je n’ai pas besoin de dire à quel point il l’était, et avec quelle variété de ressources, et aussi quel aplomb, ce qui, loin de lui nuire, comme en ces sociétés de moins grand air que froisse toute supériorité se faisant trop valoir, le servit, au contraire, chez le roi, chez ses filles, et le Dauphin leur frère, où l’on était trop haut pour s’offusquer de ce que son ton avait d’avantageux.

Il possédait au reste, pour flatter les grands sans déchoir, un art étonnant, auquel il ne fallait pas moins, il est vrai, que tout son esprit et la réputation que, sur ce point, il eut d’assez bonne heure. « Il avait toujours, dit La Harpe[7], l’air d’être convaincu qu’ils ne pouvaient pas être d’un autre avis que le sien, à moins d’avoir moins d’esprit que lui, ce que lui-même ne supposait jamais, comme on peut le croire, surtout avec ceux qui en avaient peu ; et, s’énonçant avec autant de confiance que de séduction, il s’emparait à la fois de leur amour-propre et de leur médiocrité, en rassurant l’une par l’autre. »

D’autres avantages le servirent encore dans ce monde, où « le plus joli homme, » comme on disait, n’était jamais le moins mal venu : sa taille élevée et bien prise[8], sa belle mine, qui, plus tard, après la maturité des rudes épreuves, prit quelque chose de l’air « d’un vieux soldat en retraite[9] ; » sa physionomie étincelante, qu’éclaira toujours, même lorsque la surdité, dont il fut atteint assez jeune, y eut jeté quelque hésitation, le regard le plus vif, le

  1. Cours de littérature, 1800, in-8, t. XI, 2e part., p. 549.
  2. Loménie, t. I, p. 83.
  3. Id., ibid.
  4. Il signa, comme témoin, à son premier mariage (A. Jal, Dict. critique, art. Beaumarchais).
  5. Loménie, t. I, p. 75.
  6. Id., p. 95.
  7. Cours de littérature, t. XI, 2e partie, p. 595.
  8. Vie privée de Beaumarchais, 1802, in-12, p. 4.
  9. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, t. IV, p. 249.