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le château vert

blancs rochers d’un promontoire boisé, s’achever contre la montagne de Saint-Clair qui, sur son versant opposé porte la ville de Sète. Là, vers l’occident, s’allonge la plage argentée du grau d’Agde, déserte jusqu’au quai grisâtre qui la protège de l’Hérault. Et la voix de la grande mer parlait toujours, monotone, pourtant mélodieuse.

Bien qu’ils n’eussent aucune prétention d’avoir des âmes de poètes, Barrière et ses enfants goûtaient en cette frémissante solitude l’ineffable poésie des choses, la vertu de l’onde éternelle, de la lumière nue, qui imposait partout, comme une divinité, sa splendeur et sa puissance. Émus par la magnificence des éléments réunis autour d’eux, ils se taisaient. Par la plage, maintenant chargée de coquillages plus que de galets, ils arrivèrent aux scories de lave, qui, avant de s’enfoncer sous l’eau, opposent une muraille vigoureuse à la vague qui depuis des siècles la déchiquette patiemment et découpe dans le feu de sa chair des criques et des niches.

Dans une de ces niches au-dessous du sentier sinueux qui longe la crête de la muraille, un homme était assis, les mains aux genoux, et il contemplait la mer. À cause du bruit des vagues, il n’entendait pas les trois promeneurs marchant au-dessus de lui. Mais Barrière le reconnut aussitôt, et faisant mine d’entraîner ses enfants, il grommela :

— Voilà cet animal. Prenons garde !

Au même Instant, Micquemic, — car c’était lui, — leva la tête. Après un mouvement de stupéfaction, il s’écria :

Té ! C’est vous, Barrière !… Attendez-moi.

Micquemic se hissa, non sans peine, jusque sur le sentier, auprès de Barrière qui n’avait pas voulu se dérober. Il se courba très humblement, sourit de toute sa figure violacée qu’écaillaient le sel des embruns et le vent du large. Puis, désignant les deux fiancés, il feignit quelque innocence.

— Ce sont vos enfants, Barrière ?

— Oui. Tu connais ma fille ?

— Il me semble.

— Et le fils de mon voisin, M. Ravin.

— Oui… Ah ! vous pouvez être fier, Barrière !

— N’empêche que tout le monde ne me pardonne pas mes succès.