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le château vert

— Vous les méritez pourtant.

— Enfin, tant pis ! L’opinion des gens n’a pas d’importance, n’est-ce pas ?

— En tout cas, ce n’est pas moi que le bonheur accable.

— Si tu es malheureux, tu l’as bien voulu. La bouteille, et le rien-faire, ça ne mène pas loin.

— Vous avez raison, Barrière, mais qu’y faire ? Je suis trop vieux pour changer mes habitudes. Ah ! le bon vin de chez nous, comment peut-on s’en passer !… Barrière, je vous ai souvent importuné de mes quémandes, et je crois qu’un jour vous m’avez mis à la porte.

— Tu t’en souviens, tant mieux. Qui sait si tu ne chercheras pas quelque jour à te venger ?

— Me venger !… Pour ça, non. Je jure que non !

— Ne jure pas.

Micquemic affectait maintenant des grimaces larmoyantes de pauvre homme voué au mensonge et à la fredaine.

— Ma femme n’est pas bien du tout, gémit-il.

— Oui, raconte-nous tes histoires. Je n’ai rien sur moi, pas un radis.

— Un petit quelque chose m’aurait fait plaisir.

— Viens chez moi de grand matin. J’ai d’ailleurs à causer avec toi.

— Je n’y manquerai pas.

Et comme Micquemic retirait sa main humide de mendiant, Philippe, qui avait furtivement ouvert son portefeuille, lui tendit un billet de 50 francs. Micquemic tressaillit d’enthousiasme, et, dans une sorte d’éblouissement, il saisit le papier précieux, l’enfouit dans la poche de son pantalon de velours.

— Merci, mon fils. Le bon Dieu vous le rendra.

Philippe lui commanda d’un simple geste le silence, Barrière d’un mot le congédia :

— Adieu !…

Les trois promeneurs continuèrent leur chemin. Mais Micquemic trépigna à petits pas sur leurs traces, répétant ses chaleureux mercis, ses souhaits de bon mariage. Comme on ne lui répondait plus, il se reposa sur un rocher et, les mâchoires entre les poings, il regarda fixement, avec un étrange mépris, de la haine, s’éloigner ces trois êtres qu’il estimait trop heureux.

À cinq cents mètres de là, tandis qu’ils s’engageaient