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le château vert

— Non. Seulement autant vaut éviter un contact qui lui est désagréable.

— Je m’incline. Mais vous avez tort, car, devant moi, cette petite ne se permettrait aucune incorrection. Allons, à bientôt.

— Oui. Et que Philippe ne manque pas chez moi ce soir.

— Pas besoin de le lui recommander.

Elles se séparèrent. Dare dare, Mariette rentra chez elle, émue à la fois du plaisir d’avoir passé la matinée en compagnie de la mère de Philippe et aussi du pressentiment que cette Thérèse du Château Vert ourdissait un complot contre son bonheur.

Naguère, dans la société bourgeoise, il n’était point d’usage qu’une fiancée eût le privilège de fréquenter à son gré la maison de son fiancé. Mais, à cause de la grande guerre, tant d’usages se sont relâchés sur la terre de France ! Si maintenant Mariette hésitait à se rendre chez les Ravin, c’était par pudeur, par l’étrange appréhension d’apporter en sa personne le motif d’un chagrin, la pensée d’un péril. Depuis quelques jours, elle manifestait devant ses parents une mélancolie qu’ils ne parvenaient point à dissiper.

Un matin, pour la distraire, sa mère lui dit :

— Viens avec moi faire le marché.

— La bonne n’y va donc pas ?

— Non. Pas aujourd’hui. Elle se sent fatiguée.

Non sans hésitation, comme si elle eût redouté un malheur, Mariette s’apprêta. Toujours jolie, mais simple en ses manières, un cabas à la main, elle suivit sa mère, qui portait un grand panier. À la marine, celle-ci, après qu’elle eut examiné toutes les corbeilles de poissons et de coquillages, choisit un beau rouget qu’une barque apportait du Grau. Mais elle le déclara trop cher, et finalement, lassée par des palabres sans nombre avec la marchande, elle le refusa. Alors la marchande, les poings sur les hanches, se mit en colère :

Té ! Croyez-vous, madame Barrière, que j’ai volé mon poisson, moi aussi, comme d’autres ont volé des cassettes pleines d’or ?

— Oh ! que dites-vous ! je ne vous accuse de rien, moi.

— Il ne manquerait plus que ça !

Mme Barrière, bouleversée par une agression si imprévue, balbutiait des excuses. Mariette intervint :