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le château vert

On se dit au revoir. Thérèse, qui tremblait comme un roseau, s’achemina d’un pas rapide vers la porte, puis dans la rue, filant le long des murs, elle gagna son auto, qui l’attendait sur le quai de la Cathédrale.

Mme Ravin, qui n’avait à acheter qu’une ampoule électrique, fit son emplette, et dare dare, prenant Mariette par le bras, elle l’entraîna au dehors.

— Thérèse n’ira pas à la maison, j’en suis persuadée.

— Pauvre Thérèse !… Je lui fais, malgré moi, beaucoup de chagrin.

— Le temps efface les plus grandes douleurs, mon enfant. Et Thérèse, qui est si jeune, si dégourdie, se consolera vite avec un autre mari.

Mariette, qui était belle en la simplicité de sa toilette, éprouvait un orgueil de traverser la ville en compagnie de Mme Ravin, une vraie dame, sa seconde mère. Pourtant, à mesure qu’elle marchait, elle avait l’invincible sensation qu’une atmosphère de méfiance se développait autour de sa personne. Certes, des passants la regardaient avec une admiration flatteuse. Mais, dans le regard sournois de quelques autres, elle apercevait de l’animadversion, du mépris. Elle se souvenait des injures de Golze, le grossier marchand de casquettes, qui un dimanche l’avait appelée « fille d’un voleur ». De quel vol cet homme, qu’aigrissait la médiocrité de sa condition, avait-il voulu parler ? Elle ne le saurait peut-être jamais. Cette ignorance la tourmentait par intermittences dans le vif de son âme, que réconfortait heureusement la joie ineffable, d’être aimée par celui qu’elle aimait.

Au seuil du chemin de campagne où se trouvait la porte du domicile des Barrière, elle s’arrêta. Il n’y avait cependant qu’à remonter d’une vingtaine de pas la route neuve pour aboutir à la grille des Ravin.

— Venez à la maison, lui dit Mme Ravin.

— Je vous dérangerais trop.

— Vous, mon enfant, vous ne me dérangerez jamais.

— Thérèse va probablement venir. Cela ne lui plaira pas de me rencontrer encore, et chez vous.

— Ah ! par exemple ! Qu’ai-je à me soucier des fantaisies de cette sauterelle !

À ce mot espiègle, quoique sans méchanceté, Mariette eut un fin sourire. Mais elle ne céda pas à l’invitation.

— Vous ne la redoutez pas, je suppose, Mariette ?