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le château vert

Philippe, à la vérité, espérait que Mariette se délivrerait de ses scrupules imaginaires et reviendrait à la simple raison, à la joie de vivre. M. Ravin était allé, selon son habitude en la saison d’hiver, entreprendre aux environs de Paris une tournée d’affaires. Philippe comptait bien qu’à son retour, dans deux ou trois semaines, le nuage absurde qui avait assombri son bonheur serait dissipé tout à fait.

Barrière n’avait pas, au moins pour l’instant, une aussi grande confiance. Car Mariette, qui dans sa candeur ignorait que l’opinion du monde est aussi changeante que la couleur du ciel, conserverait longtemps, peut-être toujours, ses appréhensions. Mais, enfin, d’où sortait cette rumeur d’infamie ? Barrière s’en inquiétait sérieusement, pour la première fois, pendant que dans une serre il humectait au moyen d’une éponge ses plantes grasses. Le souci de son labeur l’avait tellement absorbé tout le long de sa vie que jamais le soupçon ne l’avait effleuré que l’un quelconque de ses semblables daignât s’occuper de personne.

Certes, M. Ravin lui avait désigné en Micquemic le promoteur de la calomnie publique. Mais, réflexion faite, il ne consentait pas à incriminer un fainéant, qui n’était rien au monde et qui n’avait évidemment aucun intérêt, bien au contraire, à lui nuire et à le salir. Oh ! parbleu, il comptait dans la ville, comme tous les favorisés de la fortune, des envieux et des jaloux. Mais un ennemi assez téméraire pour semer la pire des médisances, il n’en connaissait point.

Or, le soir, dans la nuit, tandis qu’il se rendait à la poste, il croisa Philippe qui revenait de son magasin.

— Tiens, Philippe ! Et comment allez-vous ? Et votre père ?

— Bien. Mon père aussi, assez content de son voyage.

— Tant mieux ! Dites-moi, j’ai beaucoup songé aujourd’hui à l’imbécile qui a semé dans le public l’histoire de la cassette. Qui diantre peut-il être ?

— Il me semble que mon père vous l’a signalé.

— Votre père se trompe. Ou plutôt, on l’a mal renseigné… Micquemic ?… Non, non, c’est impossible !

— Ah ! monsieur Barrière, non, mon père ne s’est pas trompé. Voilà d’ailleurs quelques jours que je me suis renseigné moi-même, et à la bonne source ; mes renseignements corroborent ceux de mon père.