Page:Belon - L’histoire naturelle des estranges poissons marins.djvu/9

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se puisse persuader, que ie n’aye rien escript, chose que moy mesme ne l’aye veue.

II.

Combien que le Daulphin ne soit pas cogneu des François pour tel, toutesfois ils l’ont en commun usage, mais il n’est pas nommé par son nom propre.

OR pour ne m’esloigner d’avãtage de mon entreprise, qui est que ie puisse mõstrer qu’il ne soit poĩt veu de poissõ plus cõmun par les poissonneries qu’est le Daulphin : ie di toutefois, pour ce qu’il n’a pas retenu son antique appellation, que l’on ne trouve personne qui le puisse bien cognoistre. Mais comme le sort permet les choses, les François en n’y pensant point, & ne sachants point que c’est luy, l’ont constitué en si grand honneur, qu’ils luy ont baillé le titre du Roy des poissons, tant de la mer, que des lacs & rivieres. Oultre plus ils l’ont tant estimé, qu’ils l’ont mis le second apres les fleurs de lils, tellement qu’ils l’ont portraict en toutes les especes des monnoyes d’or, d’argent, & de cuyvre, & peinctures d’armoiries, d’estandards, & banieres.

III.

Que le Daulphin soit souverain es repas des François es iours maigres : mais ils ne pensent pas que soit luy, d’autant qu’il a usurpé le nom d’un autre.

D’Avãtage ils ont voulu qu’il retint aussi la reputation du premier lieu entre to autres poissõs qui sõt apportez de la mer. Car apportez a la poissonnerie, touts ont consenti qu’ils soient seulement dediez pour estre presentez au repas des plus riches, ou bien a ceuls qui ont le moyent de faire un peu plus grande despense : car les delicats qui ont le palais plus friand, l’ont estimé estre le plus delicieus qu’on puisse trouver en la mer. Mais les Frãçois ignorants leurs richesses, & ne cognoissants pas que c’est luy, ne le scavent exprimer, sinon que par un mot qu’ils ont emprunté d’estrange pais, lequel ie declareray tantost. Mais combiẽ qu’il ne soit appellé Daulphin, il ne laisse pas pourtant d’obtenir le premier lieu en toutes sortes. Et pour parler de ceuls es mains desquels il tombe pour la premiere fois, encore qu’ils soient des plus rustiques de tout le rivage de l’Oceã, pour cela il ne demeurera pas pour euls : & encore qu’ils ayent coustume d’estre nourris des poissons prins en leur contree, ce neantmoins ils ne le mãgeront pas, sachants bien que telle viande ne convient a leur