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GRANDGOUJON

Grandgoujon ne put rien dire. D’ailleurs, ayant mal compris, il n’était pas sûr que cet arrêt fût une condamnation. Il monta, comme on le lui ordonnait, dans une bagnole datant de Louvois, qui gémissait de rouler toujours, et quand il fut arrivé à cet hôpital sinistre qui s’étend sous le dôme le plus gracieux de Paris, dans une salle sombre qui aurait pu servir au supplice de la question, le caporal le présenta à trois majors à quatre galons.

— Avancez, commanda le premier.

Le caporal tendit une fiche. Ce major lut :

Troubles nerveux. Bien. Tendez les mains. Alcoolique.

— Comment ? bégaya Grandgoujon.

— Passez.

Il désignait son collègue, un petit vieux fouinard qui avait entendu.

— Ah ? Ah ? Alcoolique ?

— Monsieur le major, dit Grandgoujon suffoqué, je n’en bois jamais une goutte.

— De quoi, mon ami ?

— Je suis la sobriété même.

— Voyez comme vos discours sont dénués de sens ! Vous commencez des phrases que vous ne finissez pas… Allons, du calme, et essayez de me répondre : buvez-vous du vin ?

— Du vin ? Oui, Monsieur le major, je bois du…

— Et vous avez des cauchemars ?

— Des cauche… ?

— Ah ! ne répétez pas tous mes mots ! Ce sont des manies d’ivrogne qui n’avancent à rien.