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GRANDGOUJON

caractère, et, doucement, elle se laissa partir pour l’autre monde, en dépit de toute l’ardeur défensive mais lointaine de Colomb. Dans sa seconde dépêche il implorait des nouvelles. Grandgoujon, qui depuis trois jours n’en pouvait plus de vivre cloîtré, et disait, resongeant à son propre cas :

— Je ne respire plus du tout… Moi non plus ne ferai pas de vieux os…

Grandgoujon sauta sur ce prétexte pour prendre son chapeau et s’échapper. Au surplus, il ajouta :

— C’est mauvais pour ma pauvre mère que je reste là. Je fais une tête lugubre. Si elle revenait à elle…

La rue lui parut admirable. Journée légère : il avala de l’air tiède largement, sans crainte d’en avaler trop, et à la poste il s’épancha, tandis qu’on enregistrait sa dépêche :

— Il y a des heures, vous savez…

Une femme, qui avait lu sur son épaule, souffla à sa voisine :

— Ces pauvres soldats n’ont pas assez de se faire tuer : faut encore des décès dans leur famille.

Grandgoujon, en s’en allant, la salua. Et dans son chagrin qui, maintenant, le berçait, il trouvait ainsi un prétexte heureux à se rapprocher d’une humanité telle qu’il se la figurait jadis, sensible et pas mauvaise. Il revint ému. Mais Mariette le guettait sur le palier, et d’une voix vengeresse elle jeta :

— Mââme a passé !

— Quoi !