Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/23

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du vieux temps nous la fournirait. De même que, dans le Waldere, le rôle de la femme stimulant le preux au combat est plus conforme à l’idéal primitif des Germains que celui dont la pourvoit le Waltharius, de même la saga de Siegfried et du dragon se présente ici sous des traits plus archaïques que dans les Eddas ou le Nibelungenlied. Dans l’épopée anglo-saxonne, en effet, la défaite du dragon et la conquête du mystérieux trésor sont attribués à Sigemund lui-même — apparemment chef danois — et l’auteur ne lui connaît d’autre enfant que Fitela (le Sinflötli de la Volsunga Saga islandaise). Mais par un phénomène fréquent dans d’autres cycles épiques, tels que ceux de Charlemagne et du roi Arthur, lorsque les populations de la Germanie proprement dite se furent emparées du mythe, le siège du royaume où régnait le vainqueur des monstres fut situé sur le Rhin, à Xanthen, et les exploits de Sigemund furent tranférés à Siegfried, dont on fit son fils. Ajoutons que les noms des personnages principaux prennent dans le Beowulf une forme plus ample qui confirme au point de vue linguistique l’antiquité des données fondamentales du poème. C’est ainsi que chez Saxo Grammaticus et dans les Eddas, les noms de Healfdene et de ses fils Hrothgar et Halga (Beowulf, v. 57, 61) se retrouvent contractés en Halfdan, Hroarr ou Roe, et Halgi. Le neveu de Hrothgar, Hrothulf, devient le célèbre Hrolfr Kraki. Le fils du roi Ohthere de Suède, Eadgils, apparaît comme Athils, et Onela, le frère d’Ohthere, comme Ali. D’autre part, la présence d’éléments plus récents se trahit dans la mention des Mérovingiens (id., v. 2921) et dans le mot même de Danois, inconnu avant le 5e siècle de l’ère chrétienne, qui désigne des peuplades ignorées des premiers historiens de la Germanie.


Les traces d’une civilisation nouvelle.


À côté du fond antique, et sous certains aspects même préhistorique, il convient de signaler les marques d’une civilisation bien plus avancée et relativement récente, si l’on tient compte de la date approximative de composition du Beowulf. À proprement parler, c’est l’apport des adaptateurs successifs et peut-être, plus sûrement encore, du dernier reviseur. Comme les Germains de Tacite, les tribus citées au cours du poème pratiquent l’équitation et connaissent l’usage du cheval en temps de paix et de guerre, bien qu’au combat le coursier soit plutôt réservé au chef et à ses parents (Beowulf, v. 1035-1039, 1399-1402). Alors que leurs ancêtres ne semblent guère avoir eu d’autre arme défensive que le bouclier, ici les princes danois et géates sont revêtus de cottes de mailles pareilles à celles que l’on a découvertes au 19e siècle dans maints tumulus scandinaves. Ils paraissent les avoir adoptées au contact des Celtes, qui furent leurs premiers voisins en Occident, comme ils adoptèrent