Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/18

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bureaux de L’Événement. Il venait d’y porter de la copie et, debout sur le seuil, il en contemplait le salaire sous ses lunettes stupéfaites. — Tu vois, on paie, me dit-il, cette fois c’est vraiment la République !

Au bout de quelques pas, il reprit :

— Tu devrais voir ce Magnier, c’est le moment, il cherche des plumes. — Qui a-t-il déjà ? — Moi d’abord, Scholl, Alphonse Daudet et Claretie. Ce n’est pas de la mauvaise société, hein ? Entre donc, il est dans l’antre.

Ce n’était pas un antre, c’était une salle d’armes. Trois ou quatre rédacteurs, masqués, plastronnés et gantés s’escrimaient bruyamment dans la largeur de la salle, se boutonnaient et battaient la planche ; d’autres, assis sur les bords de tables attendaient leur tour d’assaut et je pensais m’être trompé de porte lorsqu’un des ferrailleurs, soulevant son masque me demanda qui je cherchais.

— Je suis le secrétaire de la rédaction, à votre service.

Je n’ai jamais vu homme ressembler au Dante, ou si l’on veut, à son image traditionnelle, comme cet aimable Camille Farcy dont je faisais ainsi la connaissance dans les éclairs des quartes et des contres de quarte. Il avait été lieutenant de Garibaldi en 1870, dans les Vosges, et je le retrouvai plus tard à la France.

— Magnier ? reprit-il, c’est lui que vous désirez voir ? Là, derrière le comptoir. — Et au vent du fleuret il m’indiqua le fond de la salle divisée en effet en deux parties par un grillage de caisse dont le guichet ouvrait une gueule bénévole.