Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/19

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Monselet ne m’avait pas trompé. Magnier cherchait des plumes et la chance voulait qu’il eût besoin d’un critique dramatique. Il l’exigeait sévère, car on les veut toujours sévères pour commencer : — Il faut nettoyer le théâtre, me déclara-t-il magnifiquement, chasser les vendeurs du temple, reconquérir la vieille suprématie !… — Oui, oui, place aux jeunes ! lançai-je avec exaltation. — C’est ça !… Vous me plaisez beaucoup. J’oubliais, c’est dix louis par mois. Nous n’en resterons pas là, soyez-en sûr, il y a de l’argent ici, vous pouvez le dire et le répandre. À demain, mon cher collaborateur.

Je rejoignis Monselet, qui m’attendait, sur le boulevard. — Eh bien ? — C’est fait, j’ai la férule, merci. Mais un renseignement. Tu es de la boîte, tu dois savoir ? Pourquoi ce cliquetis de flamberges et de colichemardes dans l’antichambre rédactive du monument et à quoi tendent ces scoroncocolos casqués de filigrane auxquels Dante Alighieri semble enseigner les bottes secrètes de l’enfer ?

— D’où sors-tu, si tu l’ignores ? — Parle, Charles ! — Eh bien ! c’est pour tuer Cassagnac.

Le besoin de tuer Cassagnac ne s’imposait point à ma pensée, je l’avoue, d’abord parce que c’était un confrère de fort grand talent, et ensuite parce que, à la Grenouillère, dans les quelques rapports natatoires que j’avais eus avec le polémiste redouté, il m’avait toujours paru tempérer son bonapartisme d’une aménité souriante où se signait l’homme d’esprit. Il n’était pas de Parisien du reste, même parmi ses adversaires, qui ne rendît hommage à la crânerie de sa fidélité politique et n’admirât la vertu à la française de ce grand diable de bretteur qui, seul,