Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/231

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astre montait à l’horizon et dansait dans les nuées, hué par les hululements de la meute des critiques. À dieu nouveau religion nouvelle et dans son sac à lâtries, Gouzien avait des réserves de fanatisme pour trente Olympes et autant de Walhallas. D’un bond il fut aux pieds du grand tétralogue et, d’un autre, il se releva vélite de son avant-garde.

Puis vint le tour de Puvis de Chavannes en l’honneur de qui il rompit tant de lances que, des fagots de leurs hampes, on eût fait un bûcher pour l’Institut. Et Gouzien admirait toujours. Il admirait en mangeant, en buvant, en dormant, à pied, à cheval, en corricolo, en ballon captif, et dans les barques agitées par la tempête. Implacable thuribulaire il répandait autour de lui l’arôme des nards et des benjoins. Il était le vaporisateur de gloire du boulevard. On le sentait de cent pas chargé des fleurs de la renommée, les bras arrondis en corbeille, venir dans la foule obscure et philistine à la rencontre du maître du jour. Il fut toute sa vie et de la sorte ce type, d’ailleurs unique et sans double, du boulevardier bénévole.

Je me rappelle qu’à l’inauguration du théâtre de Monte-Carlo, où j’étais allé représenter Mac-Mahon critique d’art, je me heurtai sur la terrasse à mon brave Gouzien, l’un des invités de Charles Garnier. Le nez en l’air et le menton à la hauteur de la Tête de Chien, il binoclait sur la toiture deux statues dont elle était ornée. — As-tu vu ça ? me dit-il en me montrant l’une après l’autre. — Je ne sais pas si j’ai la férule dans l’œil, dis-je, mais je te parierais bien les cent sous que tu vas perdre à la roulette que ces deux œuvres de marbre ne sont ni de Paul Dubois ni