Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/30

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deux. « Et, cependant, disait-il, il y a dans votre ouvrage un homme de théâtre et un poète. — Tenez, avait-il fait, en désignant Silvestre, l’homme de théâtre c’est vous. » Et rien n’était plus drôle que le diagnostic de ce juge infaillible quand on connaissait l’horreur sacro-sainte du poète de Rimes neuves et vieilles pour les arts du dialogue. Ai-je besoin de vous dire que Montigny nous avait rendu la pièce, si ce n’est du bout des pincettes, du moins avec un haussement d’épaules qui nous fermait à jamais la carrière.

Carvalho nous témoigna le désir d’en prendre, à son tour, connaissance. Il était très curieux de ces cas pathologiques, bizarres oui, mais beaucoup moins exceptionnels qu’on ne pense ; on n’avait pas besoin de remonter à Louis XIV pour voir de très honnêtes gens exploiter leur cocuage bénévole et en tirer de bonnes rentes. Il nous demanda simplement de réduire la pièce de cinq à trois actes et d’y ajouter le personnage d’un homme « d’infiniment d’esprit » qui, sans tenir à l’action, l’expliquerait au public par des paradoxes.

— Quelque chose comme un Méry ou un Roqueplan, définissait-il, vous voyez ça d’ici ?

— Un Desgenais alors ? interrogeai-je.

— J’aimerais mieux franchement un chœur antique, avait déclaré Silvestre, avec le geste de bander sa lyre.

— Des vers au Vaudeville ! Malheureux, et mes actionnaires ! Non, un homme d’infiniment d’esprit, et en prose. Allez.

Je ne devais lancer que beaucoup plus tard ce mot de tripatouillage, qui a été le long cri de mon martyre