Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/31

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au théâtre, mais je me refusai net à celui dont le directeur nous imposait la donnée et l’ultima ratio de vie ou de mort.

— Qu’est-ce que ça te fait, suppliait Armand, puisque l’art dramatique est le dernier des arts. Il ne s’agit que de gagner de l’argent et tu en as besoin dans ton jeune ménage. Faisons-lui son homme d’infiniment d’esprit, et demain il nous met en répétitions, tout est là.

— Eh bien ! fais-le lui, seul et toi-même.

Le jour suivant, Silvestre m’arriva avec un petit carnet où il avait recueilli toutes les plaisanteries immémoriales que l’on tire dans les ateliers de la métaphore, d’ailleurs inexplicable, de maquereau appliquée aux proxénètes. Il se tordait à en égrener la litanie squammeuse. Il en avait inventé de nouvelles. Il en improvisait en toussant de rire. Il préludait ainsi à ces contes gaulois dont il devait un jour renouer la tradition à Béroalde de Verville. Et le soir, dans son cabinet, Carvalho, plein d’esthétique, déclara que l’homme d’infiniment d’esprit était trouvé et qu’il n’y avait plus qu’à l’écrire. « La sauce sauvera le poisson », fut son mot définitif, emprunté aux circonstances.

Je n’avais pas — je n’ai pas encore — le mépris que professait mon cher camarade pour la littérature dramatique et je sentais bien que les blagues sur le scombre ne fournissaient pas la base d’un type ni même d’un caractère. Le propre de l’homme d’infiniment d’esprit c’est d’en avoir, au moins un peu, du vrai s’entend. À défaut de Méry et de Roqueplan qui n’étaient plus là pour nous poser le nôtre, je pensai à Aurélien Scholl qui, dans le débit des