Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/34

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Silène. Il fit bien, puisqu’il y réussit, et les remords qu’il en affecta par la suite sont plus paradoxaux que l’aventure. Il savait mieux que personne que, en qualité de déesses, les Muses ne sont point bégueules, et que l’on rit aussi dans les bois du Pinde. Et puis la curiosité du théâtre le prit, comme elle prend toujours et tôt ou tard les plus rebelles à sa formule. Peu d’écrivains, en France, savent se soustraire aux prismes du lustre, mais tous les poètes y brûlent un peu leurs ailes, je ne me charge pas d’expliquer pourquoi. Toujours est-il que, dans les environs de 1873, Armand Silvestre voulut engager la partie et qu’il me choisit pour l’initier aux mystères d’un art qui n’en a que pour ceux auxquels ils semblent tels.

Après des tergiversations, où, mandataire d’une société d’actionnaires, il se débattait seul contre le Parisien hardi qui le doublait, Carvalho finit par donner la pièce, à une fin de saison, il est vrai, et pour l’honneur de l’audace. Et ce fut un 25 juillet, en pleine canicule dans un désert d’asphalte embrasé, que le nom du poète fut jeté, à côté du mien, à la critique dramatique pour la première fois.

Je ne crois pas lui avoir rendu ce jour-là un bien grand service, et quand je pense aux cruels déboires, qui sait ? mortels, peut-être, que le sort de son dernier effort dramatique lui infligea, je me demande si je n’en ai pas été un peu complice le soir où une collaboration improvisée l’illusionna sur des facultés dont le don même est déjà un martyre. Les enfants les plus pleurés des mères, disent les psychologues, ce sont les moins bien venus, et des contrefaits elles restent inconsolables.

Le succès donc de notre Ange Bosani n’avait été,