Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/35

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comme Armand Silvestre le disait lui-même, tempéré que par la température. En compagnie de quelques amis militants et fidèles, nous le célébrâmes tout chaud et dès le baisser du rideau, dans un café-restaurant voisin du théâtre. Ce fut tant et si bien que nous en vîmes lever l’aurore, qui, du reste, à la fin de juillet, ne traîne pas au lit. Et tous nos camarades reconduits, un à un, et mis à leurs portes, nous nous trouvâmes tous deux, je ne sais où ni comment, à une descente de balayeurs, sur une place qui tournait. Car elle tournait, ou c’était nous.

Sur cette place, que j’ai souvent cherchée depuis sans la reconnaître, je me souviens que nous nous jurions une amitié éternelle et nous encensions d’un enthousiasme réciproque. On se renvoyait le triomphe dont les proportions, décuplées par la médianoche, atteignaient à l’hyperbolique. — On la jouera cent ans, lui disais-je. — On la jouera toujours, déclarait-il. — Même l’hiver ! faisions-nous ensemble. Il fallut tirer au sort pour savoir lequel des deux paierait sur ses droits d’auteur le bronze destiné à remercier Carvalho. Mais nous ne pûmes ni l’un ni l’autre retrouver à terre le décime lancé dans l’espace pour en décider à pile ou face. Les balayeurs riaient de nous voir si heureux et, pour les associer à notre fortune expansive, nous les menâmes tuer le perroquet au premier mannezingue dont les volets s’ouvrirent. Là, le verre au poing, il les somma de déclarer que Mlle Antonine, créatrice du rôle de Mme Bosani, était la plus grande comédienne du siècle peut-être et sûrement de tous les siècles. Ils y consentirent et s’en furent, nous laissant seuls sur ce vote populaire et matutinal.