Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/47

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ce n’est pas le terme exact. Dans les choses de solidarité professionnelle, Catulle Mendès ne demandait pas de services à ses amis, il les leur prescrivait. Son ascendant, vous dis-je, était celui d’un meneur de croisades.

— Voici Cladel, m’ordonna-t-il. Il vient de publier Les Va-nu-pieds, un recueil de chefs-d’œuvre. Il n’y a pas à chercher plus loin : de simples chefs-d’œuvre. Le journal Le Pays l’attaque parce qu’il y défend la Commune et les communards. Qu’il ait tort ou raison au point de vue politique, ça ne nous regarde pas, nous autres. Vous êtes au Bien Public, vous marchez, n’est-ce pas ?

— Sacrebleu, cher ami, mais Le Bien Public est Thiersiste, Versaillais et massacrophile. Le moins qu’il puisse m’arriver, c’est qu’on me rende ma copie ininsérée. Je n’ose songer au pire.

— Vous la ferez insérable, voilà tout, c’est l’enfance de l’art. Mais Cladel a peur du parquet ; il veut se sauver à Bruxelles, avec sa jeune femme et son enfant, il faut qu’on le défende, parce que c’est un grand écrivain.

Je fis de mon mieux, et le directeur du Bien Public ne me saboula pas trop, car il était brave homme, cet Henri Vrignault, et la littérature transcendante l’intimidait.

Léon Cladel me garda une fidèle gratitude de ce coup d’épaule, auquel le silence de toute la presse républicaine sur son livre donnait quelque importance, et nous devînmes amis. Quant à Catulle, il décréta que j’avais fait mon devoir, et il me décora du Mérite Littéraire, ordre sans brevet, sans grades et sans insignes, que l’on confère d’une poignée de main.