Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/56

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la cohabitation s’impose, celui par exemple où l’un des collaborateurs, victime des pandores, n’a pas de pierre pour y reposer sa tête, tandis que l’autre, grâce à une contribution de famille, jouit d’une chambre garnie ornée d’un lit, d’une table et du luxe de deux chaises. Si le lit a double matelas, il suffit d’en étendre un par terre pour que la collaboration devienne assidue et féconde, et, de la sorte, on obtient du chef-d’œuvre. Aussi plus j’y pense et moins je comprends que L’Écumeur de Mer ne soit pas encore, en 44 ans, sur l’affiche. Il est vrai que pas une ligne n’en fut écrite, mais c’est l’unique excuse des directeurs. Quant à Coquelin, il l’attendit toujours.

De bon matin, quelquefois dès l’aurore, mon collaborateur s’en allait, Cosette aux talons, y rêver dans les lits de torrents pleins de violettes et de roses sauvages, mais je m’apercevais, le soir, qu’une distraction ou une autre, la vue d’un bicorne ou le bruit d’un lapin sous les myrthes, lui avait entièrement ôté Masséna de la cervelle. Dieu n’a pas créé les nomades pour les œuvres de grande haleine et la chanson est leur mesure.


Un jour il m’annonça, tout rayonnant, son départ. La chance d’une rencontre allait le rendre à sa destinée. Mme Ratazzi, qui hivernait à Nice, lui offrait un cachet princier pour une séance d’improvisation dans ses salons. Il avait pour cet exercice un don extraordinaire, et égal à celui de M. Inaudi pour les calculs mentaux de mathématiques. « C’est une grande dame, une bien grande dame, me dit-il en son langage de tréteaux, et la somme est ronde, mais elle n’a négligé qu’une chose, c’est de m’envoyer