Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/79

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Je l’attendais C’est un noble esprit, dévoyé par l’Empire, mais c’est fini. Sedan a été une grande leçon pour tout le monde. Il m’a déclaré à l’Académie qu’il s’était trompé pendant dix-huit ans. Je l’ai embrassé. Nous nous aimons.

« — Et Arago ? susurre Monselet. — Quel Arago ? — Étienne, le poète, l’auteur des Malheurs d’un joli garçon. On lui doit ces deux octosyllabiques :

Je me promenais au village,
Seul, avec ma tête d’amant !…

Et pour le coup Victor Hugo s’esclaffe : — Oh ! seul avec ma tête d’amant !… Et il s’en va savourer ce distique dans le couloir. Nous montons chez Lockroy pour fumer.

« On ne fume pas chez Victor Hugo, il a horreur du tabac sous toutes ses formes, et s’il refaisait à l’instar de Dante, un Enfer, il y mettrait Jean Nicot, dans le Cercle des empoisonneurs. Aussi est-ce Lockroy qui hospitalise, après le dîner, les damnés du vice. Mais il faut se hâter, et il n’y a temps que pour une cigarette.

« Nous redescendons « chez Mme Drouet » mais sans Lockroy, que la situation vexe, non sans raison peut-être, et d’autant plus que le grand-père, feignant la distraction, continue à appeler Mme Lockroy : « Mme Charles », du nom de Charles Hugo, son premier mari. Cette taquinerie horripile, et il y a de quoi, le bon Lockroy que Georges et Jeanne paraissent du reste adorer. Mais elle devient trop « olympienne » de la présence et surtout de la préséance de l’amie historique sous le toit familial, et Zeus abuse de son omnipotence.