Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/92

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— Nous entrerons toutes les deux, avait déclaré Carlotta, ou ni l’une ni l’autre. — Et, désarmé de toute volonté par le mal qui l’emportait, pareil au fataliste immobile et muet sous l’écroulement de sa maison, il avait laissé la dame aux yeux de violette, repartir à jamais pour Genève. Ce fut ce jour-là qu’il mourut et non un autre.

Genève était en effet, depuis 1848, année où elle s’était retirée du théâtre, la résidence de Giselle. Elle y élevait sa fille en bonne bourgeoise dans une villa magnifique du faubourg Saint-Jean qu’encadrait une terrasse plantée de marronniers plus que centenaires dont les thyrses murmurent encore dans Émaux et Camées les vers délicieux qu’ils ont inspirés. Ce fut de là qu’un jour nous arriva dans le « piranèse » l’annonce de la venue à Paris de notre tante et de notre cousine. Elles devaient descendre d’abord dans un hôtel fastueux et conforme à leur fortune, mais à la vue de notre nid d’hirondelles elles ne voulurent plus nous quitter. C’était trop drôle, ce grenier d’étudiants et l’on devait y rire les douze heures du jour. De telle sorte qu’on se serra et que, malles et gens, tout finit par y tenir. L’empilement symétrique des cubes est le principe architectonique de la colonne, dit (ou ne dit pas) Vitruve. Une chambre de bonne, vacante sous les combles, devint l’appartement d’une sylphide qui avait habité des palais de rêve, et comme, par la lucarne, on apercevait le faîte de l’Opéra surmonté de son Apollon porte-lyre, Carlotta déclara qu’elle y avait la plus belle vue du monde, l’idéale à son âge, celle que l’on a sur sa jeunesse.

Plus tard je gardai ce galetas et j’en fis un bureau