Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/115

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trice des matériaux transmis par les organes des sens, la puissance qui convertit en objets précis et déterminés les vagues impressions venues de l’œil, de l’oreille, de toute la surface et de tout l’intérieur du corps, c’est le souvenir.

Le souvenir ! À l’état de veille, nous avons bien des souvenirs qui paraissent et disparaissent, réclamant notre attention tour à tour. Mais ce sont des souvenirs qui se rattachent étroitement à notre situation et à notre action. Je me rappelle en ce moment le livre du marquis d’Hervey sur les rêves. C’est que je traite de la question du rêve et que je suis à l’Institut psychologique ; mon entourage et mon occupation, ce que je perçois et ce que je suis appelé à faire orientent dans une direction particulière l’activité de ma mémoire. Les souvenirs que nous évoquons pendant la veille, si étrangers qu’ils paraissent souvent à nos préoccupations du moment, s’y rattachent toujours par quelque côté. Quel est le rôle de la mémoire chez l’animal ? C’est de lui rappeler, en chaque circonstance, les conséquences avantageuses ou nuisibles qui ont pu suivre des antécédents analogues, et de le renseigner ainsi sur ce qu’il doit faire. Chez l’homme, la mémoire est moins prisonnière de l’action, je le reconnais, mais elle y adhère encore : nos souvenirs, à un moment donné, forment un tout solidaire, une pyramide, si vous voulez, dont le sommet sans cesse mouvant coïncide avec notre présent et s’enfonce avec lui dans l’avenir. Mais derrière les souvenirs qui viennent se poser ainsi sur notre occupation présente et se révéler au moyen d’elle, il y en a d’autres, des milliers et des milliers d’autres, en bas, au-dessous de la scène illuminée par la conscience. Oui, je crois que notre vie passée est là, conservée jusque dans