Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/181

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que la leçon à apprendre n’aura jamais à être rappelée tout d’un coup, mais qu’elle devra au contraire être l’objet d’une reconstitution graduelle et réfléchie. Examinons donc d’abord ces cas extrêmes. Nous allons voir qu’on s’y prend tout différemment pour retenir, selon la manière dont on devra se rappeler. D’autre part, le travail sui generis qu’on effectue, en acquérant le souvenir, pour favoriser l’effort intelligent de rappel ou au contraire pour le rendre inutile, nous renseignera sur la nature et les conditions de cet effort.

Dans une page curieuse de ses Confidences, Robert Houdin explique comment il procéda pour développer chez son jeune fils une mémoire intuitive et instantanée[1]. Il commença par montrer à l’enfant un dé de dominos, le cinq-quatre, en lui demandant le total des points et sans le laisser compter. À ce dé il en adjoignit alors un autre, le quatre-trois, exigeant ici encore une réponse immédiate. Il arrêta là sa première leçon. Le lendemain, il réussissait à faire additionner d’un coup d’œil trois et quatre dés, le surlendemain cinq : en ajoutant chaque jour de nouveaux progrès à ceux de la veille, il finit par obtenir instantanément la somme des points de douze dominos. « Ce résultat acquis, nous nous occupâmes d’un travail bien autrement difficile, auquel nous nous livrâmes pendant plus d’un mois. Nous passions, mon fils et moi, assez rapidement devant un magasin de jouets d’enfants, ou tout autre qui était garni de marchandises variées, et nous y jetions un regard attentif. À quelques pas de là, nous tirions de notre poche un

  1. Robert Houdin, Confidences, Paris, 1861, t. I, p. 8 et suiv.