Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/200

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cette image même, les moyens par lesquels l’effet s’accomplit. Force nous est donc bien d’admettre que le tout s’offre comme un schéma, et que l’invention consiste précisément à convertir le schéma en image.

L’inventeur qui veut construire une certaine machine se représente le travail à obtenir. La forme abstraite de ce travail évoque successivement dans son esprit, à force de tâtonnements et d’expériences, la forme concrète des divers mouvements composants qui réaliseraient le mouvement total, puis celles des pièces et des combinaisons de pièces capables de donner ces mouvements partiels. À ce moment précis l’invention a pris corps : la représentation schématique est devenue une représentation imagée. L’écrivain qui fait un roman, l’auteur dramatique qui crée des personnages et des situations, le musicien qui compose une symphonie et le poète qui compose une ode, tous ont d’abord dans l’esprit quelque chose de simple et d’abstrait, je veux dire d’incorporel. C’est, pour le musicien ou le poète, une impression neuve qu’il s’agit de dérouler en sons ou en images. C’est, pour le romancier ou le dramaturge, une thèse à développer en événements, un sentiment, individuel ou social, à matérialiser en personnages vivants. On travaille sur un schéma du tout, et le résultat est obtenu quand on arrive à une image distincte des éléments. M. Paulhan a montré sur des exemples du plus haut intérêt comment l’invention littéraire et poétique va ainsi « de l’abstrait au concret », c’est-à-dire, en somme, du tout aux parties et du schéma à l’image[1].

  1. Paulhan, Psychologie de l’invention, Paris, 1901, ch. IV.