Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/99

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comme indéfini, le champ ouvert à la recherche psychique. Cette nouvelle science aura vite fait de rattraper le temps perdu. Les mathématiques remontent à l’antiquité grecque ; la physique a déjà trois ou quatre cents ans d’existence ; la chimie a paru au XVIIIe siècle ; la biologie est presque aussi vieille ; mais la psychologie date d’hier, et la « recherche » psychique » est encore plus récente. Faut-il regretter ce retard ? Je me suis demandé quelquefois ce qui se serait passé si la science moderne, au lieu de partir des mathématiques pour s’orienter dans la direction de la mécanique, de l’astronomie, de la physique et de la chimie, au lieu de faire converger tous ses efforts sur l’étude de la matière, avait débuté par la considération de l’esprit — si Kepler, Galilée, Newton, par exemple, avaient été des psychologues. Nous aurions certainement eu une psychologie dont nous ne pouvons nous faire aucune idée aujourd’hui — pas plus qu’on n’eût pu, avant Galilée, imaginer ce que serait notre physique : cette psychologie eût probablement été à notre psychologie actuelle ce que notre physique est à celle d’Aristote. Étrangère à toute idée mécanistique, la science eût alors retenu avec empressement, au lieu de les écarter a priori, des phénomènes comme ceux que vous étudiez : peut-être la « recherche psychique » eût-elle figuré parmi ses principales préoccupations. Une fois découvertes les lois les plus générales de l’activité spirituelle (comme le furent, en fait, les principes fondamentaux de la mécanique), on aurait passé de l’esprit pur à la vie : la biologie se serait constituée, mais une biologie vitaliste, toute différente de la nôtre, qui serait allée chercher, derrière les formes sensibles des êtres vivants, la force intérieure, invisible, dont elles