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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

l’invisible source de la mobilité universelle, plus elle la sentira fuir sous elle et en même temps se vider, s’abîmer dans ce qu’elle appellera le pur néant. Finalement, elle aura d’un côté le système des Idées logiquement coordonnées entre elles ou concentrées en une seule, de l’autre un quasi-néant, le « non-être » platonicien ou la « matière » aristotélicienne. Mais, après avoir taillé, il faut coudre. Il s’agit maintenant, avec des Idées supra-sensibles et un non-être infra-sensible, de reconstituer le monde sensible. On ne le pourra que si l’on postule une espèce de nécessité métaphysique, en vertu de laquelle la mise en présence de ce Tout et de ce Zéro équivaut à la position de tous les degrés de réalité qui mesurent l’intervalle entre les deux, de même qu’un nombre indivisé, dès qu’on l’envisage comme une différence entre lui-même et zéro, se révèle comme une certaine somme d’unités et fait apparaître du même coup tous les nombres inférieurs. Voilà le postulat naturel. C’est aussi celui que nous apercevons au fond de la philosophie grecque. Il ne restera plus alors, pour expliquer les caractères spécifiques de chacun de ces degrés de réalité intermédiaires, qu’à mesurer la distance qui le sépare de la réalité intégrale : chaque degré inférieur consiste en une diminution du supérieur, et ce que nous y percevons de nouveauté sensible se résoudrait, du point de vue de l’intelligible, en une nouvelle quantité de négation qui s’y est surajoutée. La plus petite quantité possible de négation, celle qu’on trouve déjà dans les formes les plus hautes de la réalité sensible et par conséquent, a fortiori, dans les formes inférieures, sera celle qu’exprimeront les attributs les plus généraux de la réalité sensible, étendue et durée. Par des dégradations croissantes, on obtiendra des attributs de plus en plus spéciaux. Ici la fantaisie du philosophe se don-