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LA SCIENCE MODERNE

un absolu pour ma conscience, car elle coïncide avec un certain degré d’impatience qui est, lui, rigoureusement déterminé. D’où vient cette détermination ? Qu’est-ce qui m’oblige à attendre, et à attendre pendant une certaine longueur de durée psychologique qui s’impose, sur laquelle je ne puis rien ? Si la succession, en tant que distincte de la simple juxtaposition, n’a pas d’efficace réelle, si le temps n’est pas une espèce de force, pourquoi l’univers déroule-t-il ses états successifs avec une vitesse qui, au regard de ma conscience, est un véritable absolu ? pourquoi avec cette vitesse déterminée plutôt qu’avec n’importe quelle autre ? pourquoi pas avec une vitesse infinie ? D’où vient, en d’autres termes, que tout n’est pas donné d’un seul coup, comme sur la bande du cinématographe ? Plus j’approfondis ce point, plus il m’apparaît que, si l’avenir est condamné à succéder au présent au lieu d’être donné à côté de lui, c’est qu’il n’est pas tout à fait déterminé au moment présent, et que, si le temps occupé par cette succession est autre chose qu’un nombre, s’il a, pour la conscience qui y est installée, une valeur et une réalité absolues, c’est qu’il s’y crée sans cesse, non pas sans doute dans tel ou tel système artificiellement isolé, comme un verre d’eau sucrée, mais dans le tout concret avec lequel ce système fait corps, de l’imprévisible et du nouveau. Cette durée peut n’être pas le fait de la matière même, mais celle de la Vie qui en remonte le cours : les deux mouvements n’en sont pas moins solidaires l’un de l’autre. La durée de l’univers ne doit donc faire qu’un avec la latitude de création qui y peut trouver place.

Quand l’enfant s’amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d’un jeu de patience, il y réussit de plus en plus vite à mesure qu’il s’exerce davantage. La reconstitution était d’ailleurs instantanée, l’enfant la trou-