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LE MÉCANISME RADICAL

et à la parfaite objectivité des explications mécaniques ont-ils fait, consciemment ou inconsciemment, une hypothèse de ce genre. Laplace la formulait déjà avec la plus grande précision : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’Analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.[1] ». Et Du Bois-Reymond : « On peut imaginer la connaissance de la nature arrivée à un point où le processus universel du monde serait représenté par une formule mathématique unique, par un seul immense système d’équations différentielles simultanées, d’où se tireraient, pour chaque moment, la position, la direction et la vitesse de chaque atome du monde.[2] ». Huxley, de son côté, a exprimé, sous une forme plus concrète, la même idée : « Si la proposition fondamentale de l’évolution est vraie, à savoir que le monde entier, animé et inanimé, est le résultat de l’interaction mutuelle, selon des lois définies, des forces possédées par les molécules dont la nébulosité primitive de l’univers était composée, alors il n’est pas moins certain que le monde actuel reposait potentiellement dans la vapeur cosmique, et qu’une intelligence suffisante aurait pu, connaissant les propriétés des molécules de cette vapeur, prédire par exemple l’état de la faune de la Grande-Bretagne en 1868, avec autant de certitude que lors-

  1. Laplace, Introduction à la théorie analytique des probabilités (Œuvres complètes, vol. VII, Paris, 1886, p. VI).
  2. Du Bois-Reymond, Ueber die Grenzen des Naturerkennens, Leipzig, 1892.