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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

structure et l’adapter, en quelque sorte, à sa propre forme. La similitude des deux effets s’expliquerait cette fois simplement par l’identité de la cause. L’œil de plus en plus complexe serait quelque chose comme l’empreinte de plus en plus profonde de la lumière sur une matière qui, étant organisée, possède une aptitude sui generis à la recevoir.

Mais une structure organique peut-elle se comparer à une empreinte ? Nous avons déjà signalé l’ambiguïté du terme « adaptation ». Autre chose est la complication graduelle d’une forme qui s’insère de mieux en mieux dans le moule des conditions extérieures, autre chose la structure de plus en plus complexe d’un instrument qui tire de ces conditions un parti de plus en plus avantageux. Dans le premier cas, la matière se borne à recevoir une empreinte, mais dans le second elle réagit activement, elle résout un problème. De ces deux sens du mot, c’est le second évidemment qu’on utilise quand on dit que l’œil s’est de mieux en mieux adapté à l’influence de la lumière. Mais on passe plus ou moins inconsciemment du second sens au premier, et une biologie purement mécanistique s’efforcera d’amener à coïncider ensemble l’adaptation passive d’une matière inerte, qui subit l’influence du milieu, et l’adaptation active d’un organisme, qui tire de cette influence un parti approprié. Nous reconnaissons d’ailleurs que la nature elle-même paraît inviter notre esprit à confondre ces deux genres d’adaptation, car elle commence d’ordinaire par une adaptation passive là où elle doit construire plus tard un mécanisme qui réagira activement. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, il est incontestable que le premier rudiment de l’œil se trouve dans la tache pigmentaire des organismes inférieurs : cette tache a fort bien pu être produite