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L’ORTHOGENÈSE

physiquement par l’action même de la lumière, et l’on observe une foule d’intermédiaires entre la simple tache de pigment et un œil compliqué comme celui des Vertébrés. — Mais, de ce qu’on passe par degrés d’une chose à une autre, il ne suit pas que les deux choses soient de même nature. De ce qu’un orateur adopte d’abord les passions de son auditoire pour arriver ensuite à s’en rendre maître, on ne conclura pas que suivre soit la même chose que diriger. Or, la matière vivante parait n’avoir d’autre moyen de tirer parti des circonstances, que de s’y adapter d’abord passivement : là où elle doit prendre la direction d’un mouvement, elle commence par l’adopter. La vie procède par insinuation. On aura beau nous montrer tous les intermédiaires entre une tache pigmentaire et un œil ; il n’y en aura pas moins, entre les deux, le même intervalle qu’entre une photographie et un appareil à photographier. La photographie s’est infléchie sans doute, peu à peu, dans le sens d’un appareil photographique ; mais est-ce la lumière seule, force physique, qui aurait pu provoquer cet infléchissement et convertir une impression laissée par elle en une machine capable de l’utiliser ?

On alléguera que nous faisons intervenir à tort des considérations d’utilité, que l’œil n’est pas fait pour voir, mais que nous voyons parce que nous avons des yeux, que l’organe est ce qu’il est, et que l’ « utilité » est un mot par lequel nous désignons les effets fonctionnels de la structure. Mais quand je dis que l’œil « tire parti » de la lumière, je n’entends pas seulement par là que l’œil est capable de voir ; je fais allusion aux rapports très précis qui existent entre cet organe et l’appareil de locomotion. La rétine des Vertébrés se prolonge en un nerf optique, qui se continue lui-même