Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/79

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dédommagement pécuniaire : alors se dégagera nettement l’idée de compensation, déjà impliquée dans celles d’échange et de réciprocité. — Que la société se charge maintenant de sévir elle-même, de réprimer les actes de violence quels qu’ils soient, on dira que c’est elle qui exerce la justice, si l’on appelait déjà de ce nom la règle à laquelle se référaient, pour mettre fin à leurs différends, les individus ou les familles. Elle mesurera d’ailleurs la peine à la gravité de l’offense, puisque, sans cela, on n’aurait aucun intérêt à s’arrêter quand on commence à mal faire ; on ne courrait pas plus de risque à aller jusqu’au bout. Œil pour œil, dent pour dent, le dommage subi devra toujours être égal au dommage causé. — Mais un œil vaut-il toujours un œil, une dent toujours une dent ? Il faut tenir compte de la qualité comme de la quantité : la loi du talion ne s’appliquera qu’à l’intérieur d’une classe : le même dommage subi, la même offense reçue, appellera une compensation plus forte ou réclamera une peine plus grave si la victime appartenait à une classe plus haute. Bref, l’égalité peut porter sur un rapport et devenir une proportion. La justice a donc beau embrasser une plus grande variété de choses, elle se définit de la même manière. — Elle ne changera pas davantage de formule, dans un état de civilisation plus avancé, quand elle s’étendra aux relations entre gouvernants et gouvernés et plus généralement entre catégories sociales : dans une situation de fait elle introduira des considérations d’égalité ou de proportion qui en feront quelque chose de mathématiquement défini et, par là même, d’apparemment définitif. Il n’est pas douteux, en effet, que la force n’ait été à l’origine de la division des anciennes sociétés en classes subordonnées les unes aux autres. Mais une subordination