Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/148

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des sons complexes ; mais pour un cerveau qui n’enregistre et ne peut enregistrer que la matérialité des sons perçus, il y aura du même mot mille et mille images distinctes. Prononcé par une nouvelle voix, il constituera une image nouvelle qui s’ajoutera purement et simplement aux autres.

Mais voici qui est non moins embarrassant. Un mot n’a d’individualité pour nous que du jour où nos maîtres nous ont enseigné à l’abstraire. Ce ne sont pas des mots que nous apprenons d’abord à prononcer, mais des phrases. Un mot s’anastomose toujours avec ceux qui l’accompagnent, et selon l’allure et le mouvement de la phrase dont il fait partie intégrante, il prend des aspects différents : telle, chaque note d’un thème mélodique reflète vaguement le thème tout entier. Admettons donc qu’il y ait des souvenirs auditifs modèles, figurés par certains dispositifs intra-cérébraux, et attendant au passage les impressions sonores : ces impressions passeront sans être reconnues. Où est en effet la commune mesure, où est le point de contact entre l’image sèche, inerte, isolée, et la réalité vivante du mot qui s’organise avec la phrase ? Je com­prends fort bien ce commencement de reconnaissance automatique qui consis­terait, comme on l’a vu plus haut, à souligner les principales articulations de cette phrase, à en adopter ainsi le mouvement. Mais à moins de supposer à tous les hommes des voix identiques prononçant dans le même ton les mêmes phrases stéréotypées, je ne vois pas comment les mots entendus iraient rejoin­dre leurs images dans l’écorce cérébrale.

Maintenant, s’il y a véritablement des souvenirs déposés dans les cellules de l’écorce, on constatera, dans l’aphasie