Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sensorielle par exemple, la perte irréparable de certains mots déterminés, la conservation intégrale des autres. En fait, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Tantôt c’est la totalité des souvenirs qui disparaît, la faculté d’audition mentale étant purement et simple­ment abolie, tantôt on assiste à un affaiblissement général de cette fonction ; mais c’est ordinairement la fonction qui est diminuée, et non pas le nombre des souvenirs. Il semble que le malade n’ait plus la force de ressaisir ses souvenirs acoustiques, qu’il tourne autour de l’image verbale sans arriver à se poser sur elle. Souvent, pour lui faire retrouver un mot, il suffit qu’on le mette sur la voie, qu’on lui indique la première syllabe[1], ou simplement qu’on l’encourage[2]. Une émotion pourra produire le même effet[3]. Toutefois des cas se présentent où il semble bien que ce soient des groupes de représentations déterminées qui se sont effacés de la mémoire. Nous avons passé en revue un grand nombre de ces faits, et il nous a semblé qu’on pouvait les répartir en deux catégories absolument tranchées. Dans la première, la perte des souve­nirs est généralement brusque ; dans la seconde elle est progressive. Dans la première, les souvenirs détachés de la mémoire sont quelconques, arbitraire­ment et même capricieusement choisis : ce peuvent être certains mots, certains chiffres, ou même, souvent, tous les mots d’une langue apprise. Dans la secon­de, les mots suivent, pour disparaître, un

  1. BERNARD, op. cit., pp. 172 et 179. Cf. BABILÉE, Les troubles de la mémoire dans l’alcoolisme, Paris, 1886 (thèse de médecine), p. 44.
  2. RIEGER, Beschreibung der Intelligenzstörungen in Folge einer Hirnverletzung, Würzburg, 1889, p. 35.
  3. WERNICKE, Der aphasische Symptomencomplex, Breslau, 1874, p. 39. — Cf. VALENTIN, Sur un cas d’aphasie d’origine traumatique (Rev. médicale de l’Est, 1880, p. 171).