Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/207

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nous maintenant, d’un seul bond, à l’autre extrémité de notre vie mentale. Passons, selon notre méthode, de l’existence psychologique simplement « jouée » à celle qui serait exclusivement « rêvée » . Plaçons-nous, en d’autres termes, sur cette base AB de la mémoire (page 181) où se dessi­nent dans leurs moindres détails tous les événements de notre vie écoulée. Une conscience qui, détachée de l’action, tiendrait ainsi sous son regard la totalité de son passé, n’aurait aucune raison pour se fixer sur une partie de ce passé plutôt que sur une autre. En un sens, tous ses souvenirs différeraient de sa perception actuelle, car, si on les prend avec la multiplicité de leurs détails, deux souvenirs ne sont jamais identiquement la même chose. Mais, en un autre sens, un souvenir quelconque pourrait être rapproché de la situation présente : il suffirait de négliger, dans cette perception et dans ce souvenir, assez de détails pour que la ressemblance seule apparût. D’ailleurs, une fois le souvenir relié à la perception, une multitude d’événements contigus au souve­nir se rattacheraient du même coup à la perception, — multitude indéfinie, qui ne se limiterait qu’au point où l’on choisirait de l’arrêter. Les nécessités de la vie ne sont plus là pour régler l’effet de la ressemblance et par conséquent de la contiguïté, et comme, au fond, tout se ressemble, il s’ensuit que tout peut s’associer. Tout à l’heure, la perception actuelle se prolongeait en mouvements déterminés ; maintenant elle se dissout en une infinité de souvenirs également possibles. En AB l’association provoquerait donc un choix arbitraire, comme en S une démarche fatale.

Mais ce ne sont là que deux limites extrêmes où le psychologue doit se placer tour à tour pour la commodité de l’étude, et