Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/208

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qui, en fait, ne sont jamais atteintes. Il n’y a pas, chez l’homme au moins, d’état purement sensori-moteur, pas plus qu’il n’y a chez lui de vie imaginative sans un substratum d’activité vague. Notre vie psychologique normale oscille, disions-nous, entre ces deux extrémités. D’un côté l’état sensori-moteur S oriente la mémoire, dont il n’est, au fond, que l’extrémité actuelle et active ; et d’autre part cette mémoire elle-même, avec la totalité de notre passé, exerce une poussée en avant pour insé­rer dans l’action présente la plus grande partie possible d’elle-même. De ce double effort résultent, à tout instant, une multitude indéfinie d’états possibles de la mémoire, états figurés par les coupes A’B’, AB, etc., de notre schéma. Ce sont là, disions-nous, autant de répétitions de notre vie passée tout entière. Mais chacune de ces coupes est plus ou moins ample, selon qu’elle se rappro­che davantage de la base ou du sommet ; et, de plus, chacune de ces représen­tations complètes de notre passé n’amène à la lumière de la conscience que ce qui peut s’encadrer dans l’état sensori-moteur, ce qui, par conséquent, ressem­ble à la perception présente au point de vue de l’action à accomplir. En d’autres termes, la mémoire intégrale répond à l’appel d’un état présent par deux mouvements simultanés, l’un de translation, par lequel elle se porte tout entière au-devant de l’expérience et se contracte ainsi plus ou moins, sans se diviser, en vue de l’action, l’autre de rotation sur elle-même, par lequel elle s’oriente vers la situation du moment pour lui présenter la face la plus utile. A ces divers degrés de contraction correspondent les formes variées de l’asso­ciation par ressemblance.

Tout se passe donc comme si nos souvenirs étaient répétés un nombre