Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/270

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deux termes comme une barrière insurmontable, n’a plus d’autre réalité que celle d’un schème ou d’un symbole. Il intéresse les démarches d’un être qui agit sur la matière, mais non pas le travail d’un esprit qui spécule sur son essence.

Par là même s’éclaircit, dans une certaine mesure, la question vers laquelle toutes nos recherches convergent, celle de l’union de l’âme et du corps. L’obscurité de ce problème, dans l’hypothèse dualiste, vient de ce que l’on considère la matière comme essentiellement divisible et tout état d’âme com­me rigoureusement inextensif, de sorte que l’on commence par couper la com­munication entre les deux termes. Et en approfondissant ce double postulat, on y découvre, en ce qui concerne la matière, une confusion de l’étendue concrète et indivisible avec l’espace divisible qui la sous-tend, comme aussi, en ce qui concerne l’esprit, l’idée illusoire qu’il n’y a pas de degrés, pas de transition possible, entre l’étendu et l’inétendu. Mais si ces deux postulats recèlent une erreur commune, s’il y a passage graduel de l’idée à l’image et de l’image à la sensation, si, à mesure qu’il évolue ainsi vers l’actualité, c’est-à-dire vers l’action, l’état d’âme se rapproche davantage de l’extension, si enfin cette extension, une fois atteinte, reste indivisée et par là ne jure en aucune manière avec l’unité de l’âme, on comprend que l’esprit puisse se poser sur la matière dans l’acte de la perception pure, s’unir à elle par conséquent, et néanmoins qu’il s’en distingue radicalement. Il s’en distingue en ce qu’il est, même alors, mémoire, c’est-à-dire synthèse du passé et du présent en vue de l’avenir, en ce qu’il contracte les moments de cette matière pour s’en servir et pour se manifester par des actions qui sont la raison d’être de son union avec le corps. Nous avions donc raison