Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/38

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par une hypothèse arbitraire, je ne sais quelle harmonie préétablie entre les choses et l’esprit, ou tout au moins, pour parler comme Kant, entre la sensibilité et l’entendement. C’est la science qui deviendra alors un accident, et sa réussite un mystère. — Vous ne sauriez donc déduire ni le premier système d’images du second, ni le second du premier, et ces deux doctrines opposées, réalisme et idéalisme, quand on les replace enfin sur le même terrain, vien­nent, en sens contraires, butter contre le même obstacle.

En creusant maintenant au-dessous des deux doctrines, vous leur décou­vririez un postulat commun, que nous formulerons ainsi — la perception a un intérêt tout spéculatif ; elle est connaissance pure. Toute la discussion porte sur le rang qu’il faut attribuer à cette connaissance vis-à-vis de la connaissance scientifique. Les uns se donnent l’ordre exigé par la science, et ne voient dans la perception qu’une science confuse et provisoire. Les autres posent la perception d’abord, l’érigent en absolu, et tiennent la science pour une expres­sion symbolique du réel. Mais pour les uns et pour les autres, percevoir signifie avant tout connaître.

Or, c’est ce postulat que nous contestons. Il est démenti par l’examen, même le plus superficiel, de la structure du système nerveux dans la série animale. Et on ne saurait l’accepter sans obscurcir profondément le triple pro­blème de la matière, de la conscience et de leur rapport.

Suit-on en effet, pas à pas, le progrès de la perception externe depuis la monère jusqu’aux vertébrés supérieurs ? On trouve qu’à l’état de simple masse protoplasmique la matière vivante est déjà irritable et contractile, qu’elle subit l’influence des stimulants extérieurs, qu’elle y répond par des réactions méca­niques,