Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/62

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de la « perception pure » et de la mémoire. Mais elles se rattachent en outre à des faits réels, que nous pouvons dès maintenant signaler pour en rectifier l’interprétation.

Le premier de ces faits est que nos sens ont besoin d’éducation. Ni la vue ni le toucher n’arrivent tout de suite à localiser leurs impressions. Une série de rapprochements et d’inductions est nécessaire, par lesquels nous coordonnons peu à peu nos impressions les unes aux autres. De là on saute à l’idée de sensations inextensives par essence, et qui constitueraient l’étendue en se juxtaposant. Mais qui ne voit que, dans l’hypothèse même où nous nous sommes placés, nos sens auront également besoin d’éducation, — non pas, sans doute, pour s’accorder avec les choses, mais pour se mettre d’accord entre eux ? Voici, au milieu de toutes les images, une certaine image que j’appelle mon corps et dont l’action virtuelle se traduit par une apparente réflexion, sur elles-mêmes, des images environnantes. Autant il y a pour mon corps de genres d’action possible, autant il y aura, pour les autres corps, de systèmes de réflexion différents, et chacun de ces systèmes correspondra à un de mes sens. Mon corps se conduit donc comme une image qui en réfléchirait d’autres en les analysant au point de vue des diverses actions à exercer sur elles. Et par suite, chacune des qualités perçues par mes différents sens dans le même objet symbolise une certaine direction de mon activité, un certain besoin. Mainte­nant, toutes ces perceptions d’un corps par mes divers sens vont-elles, en se réunissant, donner l’image complète de ce corps ? Non, sans doute, puis­qu’elles ont été cueillies dans l’ensemble. Percevoir toutes les influences de tous les points de tous les corps serait descendre à l’état d’objet matériel. Percevoir consciemment