Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/89

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avec des sensations inextensives. C’est au contraire dans une perception extensive que sujet et objet s’uniraient d’abord, l’aspect subjectif de la perception consistant dans la contraction que la mémoire opère, la réalité objective de la matière se confondant avec les ébran­lements multiples et successifs en lesquels cette perception se décompose intérieurement. Telle est du moins la conclusion qui se dégagera, nous l’espé­rons, de la dernière partie de ce travail : les questions relatives au sujet et à l’objet, à leur distinction et à leur union, doivent se poser en fonction du temps plutôt que de l’espace.

Mais notre distinction de la « perception pure » et de la « mémoire pure » vise un autre objet encore. Si la perception pure, en nous fournissant des indications sur la nature de la matière, doit nous permettre de prendre position entre le réalisme et l’idéalisme, la mémoire pure, en nous ouvrant une perspec­tive sur ce qu’on appelle l’esprit, devra de son côté départager ces deux autres doctrines, matérialisme et spiritualisme. Même, c’est cet aspect de la question qui nous préoccupera d’abord dans les deux chapitres qui vont suivre, parce que c’est par ce côté que notre hypothèse comporte, en quelque sorte, une vérification expérimentale.

On pourrait résumer, en effet, nos conclusions sur la perception pure en disant qu’il y a dans la matière quelque chose en plus, mais non pas quelque chose de différent, de ce qui est actuellement donné. Sans doute la perception consciente n’atteint pas le tout de la matière, puisqu’elle consiste, en tant que consciente, dans la séparation ou le « discernement » de ce qui, dans cette matière, intéresse nos divers besoins. Mais entre cette perception de la matière et la matière même il