Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/90

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n’y a qu’une différence de degré, et non de nature, la perception pure étant à la matière dans le rapport de la partie au tout. C’est dire que la matière ne saurait exercer des pouvoirs d’un autre genre que ceux que nous y apercevons. Elle n’a pas, elle ne peut receler de vertu mystérieuse. Pour prendre un exemple bien défini, celui d’ailleurs qui nous intéresse le plus, nous dirons que le système nerveux, masse matérielle présentant certaines qualités de couleur, de résistance, de cohésion, etc., possède peut-être des propriétés physiques inaperçues, mais des propriétés physiques seulement. Et dès lors il ne peut avoir pour rôle que de recevoir, d’inhiber ou de transmettre du mouvement.

Or, l’essence de tout matérialisme est de soutenir le contraire, puisqu’il prétend faire naître la conscience avec toutes ses fonctions du seul jeu des éléments matériels. Par là il est conduit à considérer déjà les qualités perçues de la matière elles-mêmes, les qualités sensibles et par conséquent senties, comme autant de phosphorescences qui suivraient la trace des phénomènes cérébraux dans l’acte de perception. La matière, capable de créer ces faits de conscience élémentaires, engendrerait aussi bien les faits intellectuels les plus élevés. Il est donc de l’essence du matérialisme d’affirmer la parfaite relativité des qualités sensibles, et ce n’est pas sans raison que cette thèse, à laquelle Démocrite a donné sa formule précise, se trouve être aussi ancienne que le matérialisme.

Mais, par un étrange aveuglement, le spiritualisme a toujours suivi le matérialisme dans cette voie. Croyant enrichir l’esprit de tout ce qu’il ôtait à la matière, il n’a jamais hésité à dépouiller cette matière des qualités qu’elle revêt dans notre perception, et qui seraient autant d’apparences subjectives.