Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/91

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Il a trop souvent fait ainsi de la matière une entité mystérieuse, qui, justement parce que nous n’en connaissons plus que la vaine apparence, pourrait aussi bien engendrer les phénomènes de la pensée que les autres.

La vérité est qu’il y aurait un moyen, et un seul, de réfuter le matérialis­me : ce serait d’établir que la matière est absolument comme elle paraît être. Par là on éliminerait de la matière toute virtualité, toute puissance cachée, et les phénomènes de l’esprit auraient une réalité indépendante. Mais pour cela il faudrait laisser à la matière ces qualités que matérialistes et spiritualistes s’accordent à en détacher, ceux-ci pour en faire des représentations de l’esprit, ceux-là pour n’y voir que le revêtement accidentel de l’étendue.

Telle est précisément l’attitude du sens commun vis-à-vis de la matière, et c’est pourquoi le sens commun croit à l’esprit. Il nous a paru que la philoso­phie devait adopter ici l’attitude du sens commun, en la corrigeant toutefois sur un point. ; La mémoire, pratiquement inséparable de la perception, interca­le le passé dans le présent, contracte aussi dans une intuition unique des moments multiples de la durée, et ainsi, par sa double opération, est cause qu’en fait nous percevons la matière en nous, alors qu’en droit nous la percevons en elle.

De là l’importance capitale du problème de la mémoire. Si la mémoire est ce qui communique surtout à la perception son caractère subjectif, c’est, disions-nous, à en éliminer l’apport que devra viser d’abord la philosophie de la matière. Nous ajouterons maintenant : puisque la perception pure nous donne le tout ou au moins l’essentiel de la matière, puisque le reste vient de la mémoire et se surajoute à la matiè