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BERKELEY

ou par la réflexion, où prendre de quoi inférer l’existence d’une occasion inerte, non pensante, non perçue ? Et, d’un autre côté, en ce qui concerne l’Esprit universellement suffisant, que peut-il y avoir qui nous fasse croire ou seulement soupçonner que, pour exciter les idées en nos esprits, Il soit dirigé par une occasion inerte ?

75. C’est un exemple bien extraordinaire et vraiment déplorable de la force du préjugé, que ce grand attachement que l’esprit de l’homme conserve, contre toute évidence de raison, pour un Quelque chose de stupide et privé de pensée, par l’interposition duquel il essaye de se dérober pour ainsi dire à la Providence de Dieu, et de la rejeter au plus loin des affaires du monde. Mais nous avons beau faire tout notre possible pour affermir la croyance à la Matière, nous avons beau, quand la raison nous abandonne, tenter d’appuyer notre opinion sur la possibilité pure de la chose, et donner carrière à une imagination que la raison ne règle pas, pour découvrir des motifs en faveur de cette pauvre possibilité, le résultat définitif de tout cela, c’est qu’il y a certaines idées inconnues dans l’esprit de Dieu. Tel est en effet l’unique sens que je conçoive de l’occasion par rapport à Dieu, si tant est qu’elle en ait un. Au fond, ce n’est plus là combattre pour conserver la chose, mais seulement le nom.

76. Qu’il y ait donc des idées de cette sorte dans l’esprit de Dieu, et qu’on puisse leur donner le nom de matière, je n’en disputerai pas. Mais si l’on tient à la notion d’une substance non pensante, ou support de l’étendue, du mouvement et des autres qualités sensibles, alors il est très évidemment impossible, à mes yeux, qu’une telle chose soit, attendu qu’il est contradictoire que ces qualités existent en une substance non percevante ou soient supportées par elle.

77. Mais, dit-on, même en accordant qu’il n’existe pas de support privé de pensée, pour l’étendue et les autres qualités ou accidents que nous percevons, on pourrait peut-être admettre qu’il existe une substance inerte, non percevante, qui serait le substratum de certaines autres qualités aussi incompréhensibles pour nous que le sont les couleurs pour un aveugle-né, faute d’un sens apte à les percevoir. Si nous avions un organe de plus, il ne nous serait peut-être pas plus possible de douter de leur existence qu’il ne l’est à l’aveugle