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les soirées de l’orchestre.

ments à vent. C’est un intrigant ! On est d’accord. On répète l’ouverture qui, cette fois, ne produit aucun effet. L’opéra commence, et peu à peu les musiciens cessent de jouer. « Sais-tu, dit Siedler, le chef des seconds violons, à son voisin de pupitre, ce qu’on a fait de notre camarade Corsino qui manque ce soir à l’orchestre ? — Non. Que lui est-il arrivé ? — On l’a mis en prison. Il s’était permis d’insulter le directeur de notre théâtre, sous prétexte que, ce digne homme lui ayant commandé la musique d’un ballet, quand cette partition a été faite, on ne l’a ni exécutée ni payée. Il était dans une rage… — Parbleu ! il n’y a pas de quoi perdre patience, peut-être ?… Je voudrais bien te voir berner de la sorte, pour apprécier ta force d’âme et ta résignation… — Oh, moi, je ne suis pas si sot ; je sais trop que la parole de notre directeur ne vaut pas plus que sa signature. Mais bah ! on rendra bientôt la liberté à Corsino ; on ne remplace pas aisément un violon de sa force ! — Ah ! c’est pour cela qu’il a été arrêté ? dit un alto en déposant son archet. Pourvu qu’il trouve quelque jour à prendre sa revanche, comme cet Italien qui fit au XVIe siècle le premier essai de musique dramatique ! — Quel Italien ? — Alfonso della Viola, un contemporain du fameux orfèvre, statuaire, ciseleur, Benvenuto Cellini. J’ai là dans ma poche une nouvelle qu’on vient de publier et dont ils sont les héros, je veux vous la lire. — Voyons la nouvelle ! — Recule un peu ta chaise toi, tu m’empêches d’approcher. — Ne fais donc pas tant de bruit avec ta contre-basse, Dimski ; ou nous n’entendrons rien. N’es-tu pas encore las de jouer cette stupide musique ? — Il y a une histoire ? attendez ; j’en suis. » Dimski s’empresse de quitter son instrument. Tout le centre de l’orchestre se dispose alors autour du lecteur qui déroule sa brochure, et le coude appuyé sur une caisse de cor, commence ainsi à demi-voix.