Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/111

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J’ai néanmoins beaucoup retouché ces deux morceaux et tous les autres du même ouvrage pendant plusieurs années.

Le Théâtre des Nouveautés s’étant mis, depuis quelque temps, à jouer des opéras-comiques, avait un assez bon orchestre dirigé par Bloc. Celui-ci m’engagea à proposer ma nouvelle œuvre aux directeurs de ce théâtre et à organiser avec eux un concert pour la faire entendre. Ils y consentirent, séduits seulement par l’étrangeté du programme de la symphonie, qui leur parut devoir exciter la curiosité de la foule. Mais, voulant obtenir une exécution grandiose, j’invitai au dehors plus de quatre-vingts artistes, qui, réunis à ceux de l’orchestre de Bloc, formaient un total de cent trente musiciens. Il n’y avait rien de préparé pour disposer convenablement une pareille masse instrumentale ; ni la décoration nécessaire, ni les gradins, ni même les pupitres. Avec ce sang-froid des gens qui ne savent pas en quoi consistent les difficultés, les directeurs répondaient à toutes mes demandes à ce sujet : «Soyez tranquille, on arrangera cela, nous avons un machiniste intelligent.» Mais quand le jour de la répétition arriva, quand mes cent trente musiciens voulurent se ranger sur la scène, on ne sut où les mettre. J’eus recours à l’emplacement du petit orchestre d’en bas. Ce fut à peine si les violons seulement purent s’y caser. Un tumulte, à rendre fou un auteur même plus calme que moi, éclata sur le théâtre. On demandait des pupitres, les charpentiers cherchaient à confectionner précipitamment quelque chose qui pût en tenir lieu ; le machiniste jurait en cherchant ses fermes et ses portants ; on criait ici pour des chaises, là pour des instruments, là pour des bougies ; il manquait des cordes aux contre-basses ; il n’y avait point de place pour les timbales, etc., etc. Le garçon d’orchestre ne savait auquel entendre ; Bloc et moi nous nous mettions en quatre, en seize, en trente-deux ; vains efforts ! l’ordre ne put naître, et ce fut une véritable déroute, un passage de la Bérésina de musiciens.

Bloc voulut néanmoins, au milieu de ce chaos, essayer deux morceaux, «pour donner aux directeurs, disait-il, une idée de la symphonie.» Nous répétâmes comme nous pûmes, avec cet orchestre en désarroi, le Bal et la Marche au supplice. Ce dernier morceau excita parmi les exécutants des clameurs et des applaudissements frénétiques. Néanmoins, le concert n’eut pas lieu. Les directeurs, épouvantés par un tel remue-ménage, reculèrent devant l’entreprise. Il y avait à faire des préparatifs trop considérables et trop longs ; ils ne savaient pas qu’il fallût tant de choses pour une symphonie.

Et tout mon plan fut renversé faute de pupitres et de quelques planches... C’est depuis lors que je me préoccupe si fort du matériel de mes concerts. Je sais trop ce que la moindre négligence à cet égard peut amener de désastres.