Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/168

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favori des organistes ; ils en assaisonnaient fort agréablement le service divin.

La musique des théâtres, aussi dramatique que celle des églises est religieuse, est dans le même état de splendeur. Même invention, même pureté de formes, même charme dans le style, même profondeur de pensée. Les chanteurs que j’ai entendus pendant la saison théâtrale avaient en général de bonnes voix et cette facilité de vocalisation qui caractérise[1] spécialement les Italiens ; mais à l’exception de madame Ungher, Prima-donna allemande, que nous avons applaudie souvent à Paris, et de Salvator, assez bon baryton, ils ne sortaient pas de la ligne des médiocrités. Les chœurs sont d’un degré au-dessous de ceux de notre Opéra-Comique pour l’ensemble, la justesse et la chaleur. L’orchestre, imposant et formidable, à peu près comme l’armée du prince de Monaco, possède, sans exception, toutes les qualités qu’on appelle ordinairement des défauts. Au théâtre Valle, les violoncelles sont au nombre de... un, lequel un exerce l’état d’orfévre, plus heureux qu’un de ses confrères, obligé, pour vivre, de rempailler des chaises. À Rome, le mot symphonie, comme celui d’ouverture, n’est employé que pour désigner un certain bruit que font les orchestres de théâtre, avant le lever de la toile, et auquel personne ne fait attention. Weber et Beethoven sont là des noms à peu près inconnus. Un savant abbé de la chapelle Sixtine disait un jour à Mendelssohn qu’on lui avait parlé d’un jeune homme de grande espérance nommé Mozart. Il est vrai que ce digne ecclésiastique communique fort rarement avec les gens du monde et ne s’est occupé toute sa vie que des œuvres de Palestrina. C’est donc un être que sa conduite privée et ses opinions mettent à part. Quoiqu’on n’y exécute jamais la musique de Mozart, il est pourtant juste de dire que, dans Rome, bon nombre de personnes ont entendu parler de lui autrement que comme d’un jeune homme de grande espérance. Les dilettanti érudits savent même qu’il est mort, et que, sans approcher toutefois de Donizetti, il a écrit quelques partitions remarquables. J’en ai connu un qui s’était procuré le Don Juan ; après l’avoir longuement étudié au piano, il fut assez franc pour m’avouer en confidence que cette vieille musique lui paraissait supérieure au Zadig et Astartea de M. Vaccaï, récemment mis en scène au théâtre d’Apollo. L’art instrumental est lettre close pour les Romains. Ils n’ont pas même l’idée de ce que nous appelons une symphonie.

J’ai remarqué seulement à Rome une musique instrumentale populaire que je penche fort à regarder comme un reste de l’antiquité : je veux parler des pifferari. On appelle ainsi des musiciens ambulants, qui, aux approches de Noël, descendent des montagnes par groupes de quatre ou cinq, et viennent, armés de musettes et de pifferi (espèce de hautbois), donner de pieux concerts devant les

  1. Qui caractérisait alors les Italiens.